That is the question…
J’ai un souci d’ordre pédagogique. Je ne le couche pas ici pour avoir votre avis (quoique…), mais plutôt pour laisser une trace de ce cas de conscience.
J’ai bossé dans des tas d’endroits, public, privé, comme sous-fifre ou cadre, mais je me suis toujours tenu à une règle très simple : je ne parle pas de ma vie privée, ou très peu et uniquement si on me questionne et que je trouve la question pertinente (je me méfie des fausses copines qui viennent chercher le potin à la machine à café pour mieux te démolir après).
Bref, jusque là ça m’a plutôt bien réussi. Quand je dis ça, je parle principalement de ma vie sexuelle. C’est dingue de se rendre compte à quel point être pédé peut gêner les gens, encore aujourd’hui.
Il semble complètement évident de dire que je ne compte pas parader dans ma ZEP. Mais voilà, il y a toujours un mais. Sinon c’est moins drôle. La semaine dernière, je papotais avec une collègue dans la salle des profs, on était seuls, et la phrase suivante m’a échappée « c’est ma faute aussi, j’ai qu’à pas être pédé ! ».
Bon, là ça paraît difficile à imaginer, mais il y avait un lien direct avec la conversation, je lui parlais de la mauvaise ambiance qu’il y avait dans le cabinet politique où j’ai bossé, tout le monde s’accusait de coucher avec tout le monde, et le fait de sucer des bites m’avait desservi à ce moment-là…
Bref, la collègue tique gentiment « qu’est ce que tu viens de dire ? », et je lui répond, un peu rougissant « j’ai pas l’habitude de parler de ma sexualité sur mon lieu de travail, ça m’a échappé, bref, tu ne m’en voudras pas » et on a enchaîné sur autre chose, comme si de rien n’était.
Ça m’a fait réfléchir dans les jours qui ont suivi. Je ne me sens absolument pas en danger de l’avoir dit à cette prof, de toute façon, même si ça vient à se savoir dans la salle des profs, je m’en contrefous. Mais du coup, je me suis demandé « et si tes élèves le savaient ? ».
Et là, je me suis étonné moi-même. Au final, je m’en fous. J’ai 28 ans, et j’ai passé toute mon enfance, adolescence et jeune vie d’adulte à prendre du « pédé » « tapette » ou « tafiole » dans les dents à tire-larigot.
Je pense d’ailleurs que si, aujourd’hui, je suis capable d’encaisser ces cons d’ados au quotidien, ça vient aussi de là. Je me suis forgé une espèce de carapace qui m’aide à dissocier. Quand ils me font tourner en bourrique toute la journée, ce n’est pas parce que je suis quelqu’un qui le mérite, ou que je suis un mauvais prof, c’est qu’ils sont en détresse (et stupides aussi, mais ça c’est autre chose, et pis c’est pas autorisé par le rectorat de leur dire qu’ils sont cons, bref…).
Je sais que beaucoup d’entre eux me détestent déjà, certains me font même des doigts d’honneur quand je me retourne pour écrire au tableau, d’autres m’insultent dans leur barbe (ce n’est qu’une expression, ils n’ont que de l’acné sur le visage), ils se font passer des mots, je ne peux pas tous les attraper, sur certains je dois en prendre plein la gueule…
Et puis j’ai moi-même été élève, et je n’aurais pas assez d’une semaine pour lister toutes les horreurs que j’ai pu dire sur tel ou telle prof…
S’ils me traitent de pédé, ça ne sera même pas pour ma sexualité, c’est l’insulte de base là-bas (je vous rassure, aucun n’a encore osé le faire, je n’en pleurerais pas, mais il aura mal au carnet de correspondance celui qui osera ça !).
Mais s’ils en viennent à vraiment se moquer de moi pour un mot, une attitude, un geste équivoque que j’aurai fait/dit par fatigue et énervement (on atteint très souvent ses limites en ZEP, plusieurs fois par jour même) ? Qu’est ce que je fais ?
J’en parlais ce week-end à quelques membres du vodka club. Tous m’ont dit de surtout faire en sorte qu’ils ne s’en rendent pas compte. Ne serait-ce que pour éviter qu’un élève ne m’accuse d’avoir voulu le toucher ou pire (en même temps, quand tu vois leur gueule, je vous ai parlé de l’acné ? oui, bon, passons…)
J’ai sagement (et professionnellement) répondu que de toute façon je ne m’en cacherai pas, je vais certes pas arriver avec un string en plume rose le jour de la gay pride, mais si jamais ça doit sortir, ça sortira.
L’année dernière, une gamine de 6ème m’a demandé si j’avais un petit copain, puis elle s’est ravisée avant que j’ai le temps de répondre par un « ben non, suis-je bête ! » et elle est partie, me laissant pantois, la bouche ouverte, et une grosse goutte de sueur sur le front…
Ce matin, j’ai surveillé les DS de deux de mes troisièmes. Alors que j’étais en train de m’énerver (comprenez « hurler comme un putois ») pour avoir le silence avant de distribuer les sujets, un abruti (je n’ai pas d’autres mots, je sais que ce n’est pas approuvé par le rectorat, mais là je peux pas faire autrement), un abruti donc je disais, se fend la poire et répète « Silence », en m’imitant.
Toute la classe a étouffé un rire, ne sachant s’ils pouvaient réellement rire ou pas, comprenant aussi sûrement que l’abruti en question avait peut-être exagéré un chouïa…
Je me suis figé et j’ai fusillé du regard l’abruti en question. J’ai obtenu le silence instantanément. Alors vous me direz « mais pourquoi il nous parle de ça ? genre on a que ça à foutre ? »
Déjà je vous répondrai que vous êtes ici parce que vous le voulez bien, alors si je veux faire un article de trois pages pour ne rien dire, je le fais na. Mais en fait non, j’ai une réflexion qui suit. Le fait est donc que le débile en question (oui j’en ai marre de dire « abruti »), m’a imité d’une façon plus qu’efféminée.
Zaza Napoli en ZEP !
On y est donc. Je n’ai rien dit. J’attends de voir ce que ça donne cette semaine. Mais je me suis promis que la prochaine fois que ça arrivait, je relèverai. Et après avoir demandé, avec insistance, pourquoi il avait fait ça, il aurait le droit à un sermon sur la chose, et le (ou les) coupables prendraient une punition exemplaire.
Il est évident pour un adulte que je suis gay, ça se voit comme le nez au milieu de la figure, mais franchement, ces gamins sont trop cons pour le trouver tout seuls…
Alors voilà, si vous entendez parler d’un prof remplaçant brûlé dans une ZEP parce qu’il était pédé, c’était moi !
OUI, MAIS JE MEURS LIBRE ET FIER DE CE QUE JE SUIS !
Ps : j’en fais pas trop non ? ^^