vendredi 21 novembre 2008

Petite chose fragile

Cette nuit en me couchant, comme tous les soirs, j’ai cogité. « Pourquoi je me sens si seul ? ». Cette réflexion partait d’un constat tout simple : il n’y a pas plus entouré que moi. J’ai des amis en veux-tu en voilà, j’ai une famille super présente à la limite de l’oppression, et pourtant je me sens tout seul, tout nu, tout abandonné.

Je ne suis quand même pas un oisillon tombé du nid !

Et pourtant…

En fait c’est ça le problème. Je n’ai jamais été seul de toute ma vie. Quand je parle d’être seul, je parle d’affronter mes problèmes et la vie. Dans l’enfance, j’étais le petit garçon sensible, qui n’était entouré que de filles, le pédé du village. Je ne me suis jamais fait casser la gueule par les gros bras. Pourquoi ? Parce que j’étais toujours protégé.

À l’école c’était deux filles un peu casse-cou qui m’avaient prise sous leurs ailes. Les mecs savaient que s’ils s’attaquaient à moi, ils auraient à répondre de leurs actes devant ces filles, et surtout devant leurs grand frères qui m’aimaient beaucoup. Ça les a tenus à distance le temps que j’atteigne ma taille actuelle et que je sois en mesure de faire peur tout seul (enfin de loin tout du moins).

Ndlr : quand on dépasse le mètre quatre-vingt à 14 ans pour 75 kg avec une musculature de nageur, même si on s’est jamais battu de sa vie, on peut tenir en respect pas mal de merdeux !


J’en veux beaucoup à mes parents de ne pas avoir su me protéger quand j’étais un petit enfant. Ils savent que j’avais des problèmes pour m’intégrer. Ils savaient que j’étais le souffre-douleur en puissance de pas mal de mes petits camarades. Mais ils n’ont rien fait.

Aujourd’hui, je comprends très bien pourquoi. Il aurait été désastreux pour moi que mon père arrive dans la cour de l’école primaire pour distribuer des baffes aux caïds. Il fallait que je règle ça tout seul. Maintenant je comprends, mais à l’époque je ne comprenais pas. Et malgré mes protecteurs, je me sentais seul et abandonné par ceux qui comptaient le plus : mes parents.

À la sortie de l’adolescence, j’ai eu un besoin vital de m’affranchir de mes parents. Un véritable ado attardé en somme. J’avais soif d’indépendance et de liberté. J’ai vécu dans un cadre très strict toute mon enfance et toute mon adolescence. Je devais me coucher à 21h30 au plus tard jusqu’à mon année de terminale. Je ne pouvais pas sortir le soir. Je n’avais pas le droit d’aller passer des après-midi dans le centre de Toulouse.

Je l’ai assez mal vécu. Surtout qu’en fait la crise d’adolescence m’a pris un peu tard et d’un seul coup. J’ai décidé de façon unilatérale qu’avoir 16 ans en terminale était un signe de maturité et de réussite suffisant pour inspirer la confiance à mes parents et obtenir ainsi quelques miettes de liberté.

Quand ils se sont violemment opposés, enfin principalement ma mère, j’ai pété un plomb, et je suis entré en guerre ouverte avec elle. Guerre qui durera toute l’année de terminale. Là encore je me suis senti seul et incompris. Mes parents ne voyaient pas que je grandissais, et que j’avais besoin d’avoir leur confiance pour me responsabiliser. Enfin ça je l’ai compris plus tard, sur le coup je les voyais juste comme des vieux cons réac’.

Une fois le bac en poche, ma mère s’est calmée d’un seul coup. Elle avait dû se fixer cette limite et se dire « il a son bac à 17 ans du premier coup, il entre en fac, il fera quelque chose de sa vie, j’ai réussi ! ». Et mon père de prendre le relais. Pendant 17 ans, il ne s’est jamais intéressé à moi, enfin ça c’est ce que je pensais, et puis voilà que du jour au lendemain il m’interdit de sortir.

Non mais il débloque le vieux !

Et j’ai passé un an à me battre avec mon père pour pouvoir faire ce que je voulais. Je n’avais pas le droit de découcher, je n’avais pas le droit de rester manger dans Toulouse avant de rentrer le soir, j’étais mineur qu’il disait et je devais obéir !

Non seulement je me sentais seul et incompris, mais surtout je me sentais complètement con face à mes potes qui eux faisaient ce qu’ils voulaient et en plus vivaient seuls ! Et puis ce fut le drame. Quand je pense à tous les problèmes que j’avais ado. Tout ces problèmes qui me paraissaient insolubles, qui m’ont maintes fois fait envisager de mettre fin à mes jours (dans la plus pure tradition ado de la chose hein !).

Franchement à la lumière de ce qui m’attendait, c’était quand même du pain béni, mais je ne pouvais pas m’en rendre compte. Donc voilà qu’un soir mes parents se rendent compte que j’aime bien sucer des bites.

Est-il besoin que je dise à quel point je me suis senti seul ce soir-là ? Surtout quand la première chose que votre mère vous dit est « tu as été malheureux dans ton enfance, tu vas aller voir un psy et ça va passer ! ».

Non maman, ce n’est pas une maladie…

Et là tout s’est enchaîné. Je finirais par partir de chez moi, par m’assumer financièrement tout en faisant mes études. Par tomber dans tous les travers : alcool, drogue, anorexie, médicaments… Jusqu’à ce beau matin de décembre ou j’ai laissé une partie de mon visage sur le volant de ma voiture.

Après 2 ans d’errances totale et de rupture familiale, j’ai retrouvé un foyer, un cocon qui m’avait tant fait défaut. C’est fou ce que l’imminence de la mort peut ressouder une famille éclatée. Non, franchement, ça vaut toutes les psychothérapies du monde !

Et puis la suite vous la connaissez, enfin pour ceux qui me lisent depuis le début tout du moins. Le constat est clair, je n’ai jamais été seul. On m’a toujours protégé. On m’a toujours soutenu. Que je le veuille ou pas, que je m’en rende compte ou pas. Mais j’ai toujours eu un filet de sécurité quoique je fasse dans ma vie.

Et aujourd’hui, à 27 ans bien sonnés, je me rends compte que c’est la chose la plus horrible qui me soit arrivée. Je ne serais jamais adulte si je compte toujours sur quelqu’un. Que ce soit des parents ou des amis, je dois réussir à avancer tout seul.

Le mois prochain ma mère va payer mon loyer et mon crédit parce que je n’aurais plus d’allocations. Ce n’est pas normal. Et pourtant c’est vital pour moi.

Et ça se ressent dans ma recherche d’emploi. Le petit confort de ma petite vie vole rapidement en éclats quand je me confronte au monde professionnel. Et les reproches de l’autre con de la semaine dernière ne sont pas infondés. Je suis un gosse gâté pourri et je m’en rends même plus compte.

Comment inspirer confiance quand moi-même j’attends tout des autres ?

J’en arrive même à dire des conneries du genre à 7h48 lundi soir « en fait, en politique, moi je rêve de me trouver un mentor, qui me forme et m’épaule pendant toute ma carrière ». Non mais ça va plus du tout ! Et pourquoi pas un père de substitution pendant qu’on y est ?

Le pire c’est que je suis incapable de me débrouiller tout seul, et ça m’angoisse moins que de me retrouver effectivement tout seul. En l’état actuel des choses, je ne survivrais pas à la mort de mes parents.

À 27 ans, j’attends encore que mon père vienne casser la gueule aux vilains méchants dans la cour de mon école…

14 commentaires:

Anonyme a dit…

Très touchante cette introspection...et de voir que malgré tes apparences de gros dur tu es un écorché vif. Malgré ton chômage je te trouve très productif en ce moment Gauthier. Courage, ("le bout du tunel n'est peut être plus si loin" ;)!

Anonyme a dit…

Tu te rends compte que tout ça est pathétique mais tu vas faire quoi pour le changer ? Te droguer/acheter du champagne avec l'argent de moman le mois prochain ?

Anonyme a dit…

Roh, Gauthier, c'est quoi ce mélo !?
Je viens lire ton blog tous les jours, mais là tu tombes bien profond dans une bouillasse psycho-déprime-introspection à deux balles !
T'es pas un gros raté, t'es pas non plus le mec le plus malheureux du monde ! Lecteur quotidien, je te trouve juste dans une mauvaise passe, comme on en connaît tous un jour (moi-même l'an dernier), et où tu n'arrives pas forcément à t'imaginer une porte de sortie, mais ça arrivera ! J'en suis certain !

Quant au commentaire anonyme posté à 22:04 : pathétique toi-même !

Anonyme a dit…

GOGO power ! biz

anyia a dit…

En fait quelque part le problème c'est de se confronter à la vie et à la réalité d'adulte qui nous renvoie à nos propres faiblesses...
on a toujours vécu dans un monde de facilités, du coup dès qu'un obstacle de plus se montre, il nous paraît insurmontable...
Ou alors c'est que moi en ce moment qui pète un peu un câble, j'sais pas =)

Bref quoiqu'il en soit je me retrouve un peu dans ce que tu dis. Donc je comprends.

Et je ne te trouves ni mélodramatique, ni pathétique, juste un peu paumé comme environ chacun d'entre nous ou presque.
On accepte de le voir ou pas, c'est tout.

(marrant le mot à taper là en dessous pour laisser un comm' c'est moisava mdr)

Anonyme a dit…

Moi, Gauthier , je continue à lire ton histoire avec les yeux d'un lecteur de livre ... Et la lecture de ton récit , toujours aussi bien écrite et bien tournée , me plaît bien.

J'aurais aimé savoir , tu fais de longs brouillons et tu rédiges au fil de la plume ?

De toutes les façons ce récit quotidien , toujours plein d'idées et souvent d' analepses, comme aujourd' hui, me plaît bien .

Amicalement .

TADF

Anonyme a dit…

Lectrice quotidienne de ton blog j'ai appris à ne jamais te juger (sinon je peux passer mon chemin je veux dire) et pourtant là je trouve ton texte extremement sensible et vrai.
Pas de petites piques cyniques ni de planque derrière les clichés.
Juste toi Gauthier !
Et je crois que tu es bien plus loin que tu ne crois, tu as déjà fait bcp de chemin !
Courage, tu es sur la bonne voie !

Anonyme a dit…

Gros gros gros bisous Gauthier.

Anonyme a dit…

j'adore lire tes récits parce que j'ai le sentiment ainsi d'avoir vécu à une époque préhistorique où les enfants dès l'âge adulte cessaient d'être des assistés mais avaient pour devoir de rembourser de leurs premiers salaires (et des suivants d'ailleurs) les sommes investies par leurs parents ! dans le genre pied au cul, débrouille toi vite de te dégotter un emploi n'importe lequel , pouvait on faire mieux! mais cela n'aidait en rien à murir , rassure toi , à t'aguerrir en façade, sans doute, pas à t'affranchir du regard des autres !

Shams a dit…

Je te lis de manière régulière mais commente très rarement mais j'ai trouvé ce post touchant et je dois dire que je m'y suis un peu reconnu, surtout dans le coté "incapacité à se débrouiller seul".
C'était surtout histoire de dire qu'en général ce n'est qu'une mauvaise passe, qui peut plus ou moins durer certes mais les choses finissent toujours par évoluer, aprés c'est à toi d'y croire et de ne pas baisser les bras.
Bon courage.

Anonyme a dit…

Je pense que c'est le cas de beaucoup de "jeunes" de notre génération qui ont la "chance" d'être nés dans une famille relativement aisée : les parents veulent le meilleur pour leurs enfants, et n'hésitent pas à les materner beaucoup trop (et trop longtemps). Ils subviennent à tous leurs besoins (impératifs) et sont toujours là en cas de crise, même quand on se dit qu'on l'a bien mérité et qu'on devrait s'en sortir seul, "pour une fois".

Il n'y a pas de solution miracle. Il faut se prendre par la peau du cou et faire de son mieux pour avancer. Certains d'entre nous essayent de faire plaisir à leurs parents en faisant de grandes études, en ayant une belle carrière, une femme, deux enfants, deux voitures, une maison et un jardinier. Mais ce ne sont pas toujours les plus heureux.

Quand on lit ton blog, on y voit quand même une grande quantité de bonheur. Tu as des amis formidables, une famille un peu curieuse mais bien sympathique (mais c'est pareil pour tout le monde), et le verbe divin. Je suis certain que beaucoup de tes lecteurs et lectrices t'envient...

Inutile d'essayer de coller aux stéréotypes imposés par notre sociétés. Ce sont les originaux qui font le monde !

Gauthier, on t'aime !

David a dit…

Peut-être devrais tu te trouver un quadragénaire, substitue paternel, sur lequel tu pourras te reposer un instant pour prendre confiance en toi...

Cyrius a dit…

+1 avec l'anonyme du dessus.

Tu peux penser qu'une telle réponse vient de quelqu'un qui ne sait pas comprendre quelle est ta souffrance ... mais non.

Je sais ce qu'elle est, mais je sais aussi ce que tu lui dois, ce que nous lui devons (vi, parce que t'es pas le seul azimuté en ce bas monde)

Cyrius

Anonyme a dit…

Que de franchise ! Je suis épaté ! Et transcrire tout cela dans un blog en plus. Si tu es pas courageux avec ça, tu es quoi, hein ?

En fait, tu crois que tu sais rien faire juste parce que tu as jamais rien eu à faire. Si une situation incontournable se présente, quelque chose de 300% urgentissime, tu pourras pas passer à côté et sans t'en rendre compte, tu trouveras en toi à l'instant précis où tu en auras besoin, les ressources nécessaires.

T'en fais pas va. Tu es humain. :o)